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Vers un projet de loi sur la fin de vie suite au rapport final de la
Convention citoyenne. Les enjeux bioéthiques

© Maroun BADR

Prêtre et chercheur doctorant en bioéthique

Les Issambres, 02/04/2023

Le président Emmanuel Macron a reçu, ce lundi 4 avril 2023, les membres de la Convention citoyenne sur la vie. Dans son discours, il a été clair qu’il veut un projet de loi « d’ici la fin de l’été » favorisant l’AAM, afin d’avoir un « modèle français de la fin de vie » [1]. Il n’a pas manqué de citer l’avis nº 139 du Conseil consultatif national d’éthique CCNE, du 13 septembre 2022, qui considère « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir »[2]. En effet, après 27 jours de débats répartis en 9 sessions (entre décembre 2022 et avril 2023), la Convention a rendu ce dimanche 2 avril 2023 son avis favorable d’autoriser le suicide assisté et l’euthanasie. Selon le rapport final [3], 76 % des conventionnels sont favorables à l’ouverture de l’aide active à mourir (AAM) ; 74.7 % ont voté pour le suicide assisté et 70.1 % ont voté pour l’euthanasie, comme étant « une solution inscrite dans le cadre d’un parcours d’accompagnement et de soin global à coordonner notamment avec le parcours de Soins Palliatifs. » Le rapport présente 7 motifs en faveur de l’AAM et 5 motifs à son encontre [4]. Quels seraient les enjeux éthico-juridiques au cas où le gouvernement adopterait l’avis de la Convention ?

1.    Enjeux juridiques

a)    Les contradictions des lois

1. L’article 16 du Code civil (CC) précise : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Un peu plus loin, l’article 16-1 affirme que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». L’article 16-9 renforce les dispositions des deux articles précédents en confirmant qu’ils sont d’ordre public. Ces articles peuvent être groupés sous le principe de « l’indisponibilité du corps humain ». S’ajoute à ceci, le principe constitutionnel du 27 juillet 1994 « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute sorte d’asservissement et de dégradation » vient renforcer ces deux articles du code civil. De ce fait, l’AAM ne serait-elle pas une atteinte au corps humain et à la personne humaine ? Si les articles 16 et 16-1 du CC sont de l’ordre public, l’AAM n’est-elle pas une atteinte à cet ordre selon l’article 6 du même code qui précise que l’« on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » ?

2. Par ailleurs, un tel principe se heurte à un autre : celui de l’autonomie personnelle confirmé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 29 avril 2002). L’autonomie personnelle inclut le droit de disposer de son corps en tant que liberté corporelle qui se réclame de la liberté individuelle. Pourrait-on au nom de l’autonomie se prévaloir des articles 16 du code civil (et suivants) ainsi que du principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité de la personne ? Une AAM consentie, comme étant une concrétisation de la liberté individuelle, ne reste-t-elle pas comme une atteinte à l’inviolabilité du corps ?

3. Les questions qui viennent d’être posées entrent en concurrence avec les législations pénales réprimant une atteinte à la vie. Ainsi le suicide assisté et l’euthanasie, juridiquement, remplissent les conditions qui définissent un meurtre et un assassinat tels que définis par le Code pénal (CP). Ainsi, l’art. 221-1 précise que « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. » L’art. 221-3 indique que « le meurtre commis avec préméditation ou guet-apens constitue un assassinat. » De son côté, l’art 221-5 préconise que « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. L’empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle. » Par ailleurs, même si on a le droit de se suicider, la provocation au suicide est prohibée par la loi selon les art. 223-13 à 223-15-1 du CP. L’AAM remplit également les conditions d’une telle infraction qu’il s’agisse de provoquer au suicide d’autrui ou de faire la propagande ou la publicité en faveurs des produits comme moyens de se donner la mort. C’est ainsi qu’ouvrir la porte à l’AAM, c’est aussi ouvrir la porte à des modifications fondamentales des lois jugées nécessaires à la bonne organisation de la société. Quel que soit la forme de l’acte commis, quel que soit l’intention, quel que soit la formulation des textes juridiques, l’acte de l’AAM ne doit pas être banalisé alors que, dans son essence même, il demeure un meurtre.

b)    La vocation de la loi

Se pose ainsi le rôle de la loi dans l’organisation de la vie publique. Là où il n’y a pas de consensus éthique sur des questions délicates telles que le suicide assisté et l’euthanasie, il est légitime de poser la question sur la vocation de la loi. En effet, puisque ces questions touchent à une singularité individuelle engageant la personne et chaque personne, peut-on généraliser ces singularités par une loi laquelle, normalement, doit protéger l’intérêt de chaque et tout citoyen ? Le Professeur Emmanuel Hirsch ce point en s’interroge ainsi : « est-ce à la loi de répondre dans la minutie de préconisations ‘aux différentes situations rencontrées’, comme si le parcours au terme d’une existence était dépourvu de toute singularité et pouvait relever de procédures réglementaires généralisables ? » [5].

2.    Enjeux éthico-médicaux

a)    La démocratie

Aborder un sujet délicat, tel que celui de la fin de vie, dans une discussion entre plusieurs personnes semble compliqué en raison de la diversité des opinions, des idéologies, des courants de pensées, etc. comme dans le cas de la Convention citoyenne ; ce qui relève de l’importance de la démocratie au sein du groupe. Or, paraît-il, cette démocratie a été tronquée. Le député du Bas-Rhin et vice-Président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, Patrick Hetzel, souligne que les conventionnels ont subi, peut-être sans le savoir, un « cortège des preuves de leur manipulation ». Le député énumère une longue liste qui devrait interroger et nous interroger :

« opacité sur les critères de choix des orateurs, exclusion d’ouvrages hostiles à la légalisation de l’euthanasie dans la bibliographie à disposition des conventionnels, interventions de promoteurs des systèmes belge et suisse dès le début de la procédure, absence de débat contradictoire avec les promoteurs des législations étrangères de légalisation de l’euthanasie (Belgique, Québec, Suisse), emploi systématique du terme «d’aide active à mourir» au cours des débats, discussion limitée à une heure quinze sur 27 jours de phase délibérative entre tenants et adversaires de l’euthanasie, mise à l’écart de philosophes et d’éthiciens réservés sur la légalisation de l’euthanasie, limitation de la voix des médecins à une seule matinée, refus d’organiser des visites d’unités de soins palliatifs sur le terrain. »

Il en va de même pour la méthodologie :

« formulation fermée des questions, temps imparti très court pour répondre aux questions (quinze secondes à la huitième session), dysfonctionnement des votes sur des questions essentielles, organisation de votes de tendances en présence de la presse sans quorum, avant même que les participants ne se soient prononcés sur l’encadrement de l’euthanasie et du suicide assisté. S’agissant de se prononcer sur le champ du suicide assisté, les conventionnels n’avaient d’autre alternative que de voter pour le suicide assisté pour les majeurs, les majeurs et les mineurs ou de s’abstenir, sans que l’hypothèse d’un vote contre soit envisagée. On est loin des exigences éthiques d’un débat objectif créant les conditions du sondage mûri et délibératif, qu’aurait pourtant dû être cette convention » [6].

Peut-on parler ainsi d’une vraie démocratie ? Cette Convention est-elle vraiment représentative de la voix des citoyens, de tous les citoyens ? S’est-elle basée sur une réflexion objective en acceptant les avis opposés ? Ces questions méritent d’être examinées.

b)    L’autonomie et le consentement du patient

1. Le principe de l’autonomie fait partie de ces quatre principes de la bioéthique dite « le principisme » (bienfaisance, non-malfaisance, autonomie et justice). Cette autonomie sur laquelle insiste le rapport de la Convention, en respectant le choix et la volonté du patient, se concrétise à travers le consentement. Pour que le consentement soit valide, il doit être exempt d’erreur, de dol et de violence. La personne qui s’y engage doit être en pleine possession de ses facultés mentales et intellectuelles (art. 1145-1150 du CC) ; ce qui engage la liberté de l’individu. Tout contrat, tout consentement ne respectant ces conditions est considéré comme nul. La Convention précise que la « la capacité de discernement doit être évaluée comme un critère pour accéder à l’aide active à mourir, car elle est liée à une volonté libre et éclairée » [7]. Or, est-on vraiment libre de prendre une telle décision avec consentement éclairé infaillible quand on souffre ? Friedrich Nietzche disait :

« L’heure de sa mort par elle-même, son attitude sur le lit d’agonie, n’entrent presque pas en ligne de compte. L’épuisement de la vie qui décline, surtout quand ce sont des vieilles gens qui meurent, l’alimentation irrégulière et insuffisante du cerveau pendant cette dernière époque, ce qu’il y a parfois de très violent dans les douleurs, la nouveauté de cet état maladif dont on n’a pas encore l’expérience, et trop fréquemment un accès de crainte, un retour à des impulsions superstitieuses, comme si la mort avait une grande importance et s’il fallait franchir des ponts d’espèce épouvantable, — tout cela ne permet pas d’utiliser la mort comme un témoignage concernant la vie. Aussi n’est-il point vrai que, d’une façon générale, le mourant soit plus loyal que le vivant : au contraire, presque chacun est poussé par l’attitude solennelle de son entourage, les effusions sentimentales, les larmes contenues ou répandues à une comédie de vanité, tantôt consciente, tantôt inconsciente » [8].

Dénégation et colère dans la maladie limitent un exercice éclairé de la liberté et la personne qui demande l’AAM pourrait agir sous l’emprise d’un vice du consentement régi par deux contraintes morales : 1) interne avec le sentiment d’être une charge pour son entourage sans oublier l’état psychologique qu’on peut traverser lors d’une grave maladie ; 2) externe exprimée par la pression de l’entourage : familial, médical et socio-politique.

2. La Convention indique que ce consentement est recueilli via des directives anticipées ou par une personne de confiance. La rédaction des directives anticipées (DA) pour demander au préalable l’AAM, suppose qu’on est en « bonne santé » et aucune souffrance soi-disant nécessite une telle demande. Les DA avec une reconnaissance explicite d’un droit à mourir risque de se transformer et de se transposer d’une façon implicite en un devoir de mourir. Légiférer de tels propos porte une signification plus profonde de caractère social : « autoriser l’euthanasie n’ouvrirait pas seulement un droit à quelques-uns mais changerait irrémédiablement la manière dont toute notre société considère la mort » [9]. On pourrait alors envisager sa mort comme un acte prémédité. Ainsi, la peur ontologique de la mort – une peur légitime – qui fait partie des caractéristiques humaines perd tout son sens et avec elle l’humanité se déshumanise au nom d’un devoir de mourir. Les seuls paradigmes qui entrent en jeu avec une telle porte ouverte d’un devoir social sont ceux de l’utilitarisme, l’eudémonisme rusé, les faux calculs du rapport bénéfices/risques, voire de l’eugénisme.

c)    La dignité

Voici quatre références, parmi d’autres, des textes utilisant le mot « dignité » :

a) Dans Le Manifeste en faveur de l’euthanasie du juillet 1974, nous pouvons lire ce qui suit :

« Nous croyons en la valeur et la dignité de l’individu. Cela demande qu’il soit traité avec respect et par conséquent que lui soit laissée la liberté de décider raisonnablement de son propre sort. […] Il est cruel et barbare d’exiger qu’une personne soit maintenue en vie contre sa volonté en lui refusant la délivrance qu’elle souhaite, alors que sa vie a tout perdu : dignité, beauté, signification, perspective d’avenir. La souffrance inutile est un mal qui devrait être évité dans les sociétés civilisées » [10].

b) « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », précise l’art. 1 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) ;

c) Dans sa décision du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a déduit le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute sorte d’asservissement et de dégradation (voir aussi la Décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 sur l’arrêt des traitements de maintien en vie) ;

d) L’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne précise : « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »

De quelle dignité parle-t-on ? La dignité peut-elle se perdre ? Peut-on déposséder ou se déposséder de la dignité ? Existe-t-il une vraie dignité de mourir ? Il est clair que le droit ne définit nulle part ce qu’est la dignité alors qu’il l’évoque dans plusieurs contextes relevant des questions éthiques. Et les revendications concernant le droit de mourir dans la dignité se basent sur des concepts juridiques abstraits. Sans rentrer dans l’histoire éthico-philosophique de cette notion, un consensus général affirme que la dignité porte en elle trois dimensions[11].

1. La première, la dignité subjective. C’est la dignité ressentie par le sujet. Elle repose sur les sentiments vécus à travers une perception personnelle et sociale. Elle puise son caractère des relations interpersonnelles. Autrement dit, c’est le sentiment qu’a le sujet sur lui-même. Un patient qui réclame l’euthanasie est quelqu’un qui souffre, agonise, a un regard subjectif sur sa dignité ; il pense que son état n’est pas « digne » d’une vie.

2. La deuxième, la dignité objective déployée. Elle « désigne l’exercice effectif de la liberté tel qu’il se laisse appréhender par le discernement éthique dans sa requête d’objectivité » [12]. Cela se traduit par des actes posés qui reposent sur des valeurs comme la paix, la justice, le respect, la défense de la vie, etc. Prétendre que l’acte euthanasique fait partir d’une telle dignité objective en se basant sur le sentiment de la compassion, c’est banaliser l’être humain en ce qu’il est, se cacher derrière un sentimentalisme pour fuir une responsabilité d’une solidarité et d’une vraie com-passion (souffrir avec). Le malade est ainsi un miroir qui révèle ce qu’est l’autre. La confrontation au corps souffrant d’autrui renvoie toute personne à sa propre vulnérabilité. Elle fait ressortir les faiblesses et les incapacités.

3. La troisième, la dignité ontologique. Elle est intrinsèquement liée à la personne, corps et âme. Elle est le fondement de tous les droits et les devoirs de tout être humain et personne ne peut l’enlever. C’est une dignité qui est loin de toute démonstration ; elle n’est pas un objet de possession ni de droit. Elle est la pierre angulaire de tout acte médical qui soigne la personne et non pas qui met fin à la vie. Un tel acte porte atteinte à la dignité de la personne du patient mais aussi à celle de celui qui le commet, tel que l’a exprimé Hanna Arendt :

« Pour le dire de manière brutale, suggère-t-elle, s’ils ont refusé de commettre des meurtres, ce n’est pas tant qu’ils tenaient à observer le commandement ‘‘tu ne tueras point’’, mais c’est qu’ils n’étaient pas disposés à vivre avec un assassin : leur propre personne » [13].

Recourir aux seules dimensions subjectives et objectives, ne fait que favoriser ce que j’appelle la « dignité eugénique ». Au nom de la délivrance des souffrances et de la compassion, le patient, sa famille et la société se trouvent « contraints » par une loi appelant implicitement à se débarrasser des plus fragiles, de ceux qui coûtent économiquement cher, de ceux qui constituent un poids pour leurs proches ; bref, de l’être humain.

d)    La vocation de la médecine

En quoi l’AAM est un acte médical ? Y a-t-il une nécessité médicale pour recourir à l’AAM ? Quel est le rôle du médecin ? Ce sont des questions posées directement ou indirectement par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), ce 1er avril, à la veille du rapport final de la Convention.

1. La médecine a pour vocation première et fondamentale le soin. En vertu de cette vocation, elle diagnostique, traite et parfois prédit, mais la mort ne fait pas partie de son identité. Quant au médecin, « il doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » (article 38 du Code déontologie médicale). Se comporter autrement, porte une atteinte au Serment d’Hippocrate et au fondement éthique médical universel : « tu ne tueras pas ». Sur cette base, au cas où une législation de l’AAM aura lieu, le CNOM

« revendiquerait une clause de conscience spécifique qui garantirait l’indépendance du médecin, y compris en établissement de santé, et qui pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure. Le médecin devrait pouvoir continuer à suivre le patient, même après avoir fait valoir cette clause. Si le médecin ne souhaitait plus prendre en charge son patient, il devrait l’adresser vers un médecin susceptible d’assurer sa prise en charge » [14].

2. Y a-t-il une nécessité médicale pour recourir à l’AAM ? L’art. 16-3 du CC préconise : « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. » Dans le concret, la nécessité médicale est celle qui est exprimée par l’interprétation du cas selon le jugement du médecin, elle doit servir un but thérapeutique et non pas en vue de procurer la mort. L’atteinte à l’intégrité du corps concerne des actes médicaux précis tel que l’opération chirurgicale, l’ablation d’une tumeur, voire un don d’organe etc. À ce propos, Elio Sgreccia, bioéthicien, est clair quand il affirme que l’acte médical ne peut s’accomplir qu’en respectant le principe de l’inviolabilité de la vie. Pour lui, le principe thérapeutique qui permet une atteinte à l’intégrité du corps humain exige quatre conditions : 1) intervenir sur la partie malade ou qui cause directement le mal ; 2) qu’il n’y ait pas d’autres moyens pour remédier à la maladie ; 3) que la proportion de la réussite de l’intervention soit bonne ou proportionnellement élevée par rapport au mal ; 4) que le patient soit consentant [15].  Ces conditions rejoignent les propos exprimés clairement par la loi Claeys-Leonetti (2016). Peut-on dire que l’AAM est un acte médical thérapeutique proportionné ? Peut-on dire que l’AAM est un acte médical qui ne viole pas la vie ? La réponse du CNOM est claire et catégorique :

« L’Ordre des médecins estime impératif de permettre une meilleure application de la loi Claeys Leonetti, et nécessaire de se doter de tous les moyens qui permettraient à la loi d’être pleinement effective : rendre efficients les dispositifs dans les établissements médicaux, médico-sociaux et à domicile sur l’ensemble du territoire, faciliter l’accompagnement médical et médico-social du patient en fin de vie et de sa famille, favoriser la formation des professionnels de santé et des paramédicaux, libérer du temps pour les médecins traitants pour l’accompagnement de leurs patients, promouvoir une meilleure connaissance des médecins sur la prise en charge des patients en fin de vie. […] Si la loi vient à changer vers une légalisation d’une aide active à mourir (euthanasie et/ou suicide assisté), l’Ordre des médecins entend faire valoir dès à présent qu’il sera défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal » [16].

Conclusion

Le droit à la mort ne peut pas être corollaire d’un droit à la vie. Mourir en dignité c’est préserver et défendre en premier lieu la personne humaine. Ceci requiert deux devoirs/principes vis-à-vis d’elle.

1. Un devoir personnel, la socialité. Il s’agit de participer activement à la « réalisation du bien de ses semblables » par la promotion de la vie et de la santé ; par l’accompagnement proche du patient et de sa famille ; par une présence respectueuse face au mystère de la mort. Il est légitime de ne pas souffrir, il est légitime de se sentir impuissant face à la souffrance, mais il n’est pas légitime de s’enfermer dans le paroxysme de l’individualisme en décidant de sa propre mort. Cela relève de la responsabilité d’une société qui, de plus en plus, au nom de la liberté personnelle, pousse les gens à devenir des individus désespérés au lieu d’être des personnes entourées.

2. Un devoir communautaire, la subsidiarité. La société et l’état sont appelés à « apporter davantage d’aide là où la nécessité est plus grande ». En ce qui concerne les malades en fin de vie, il s’agit concrètement de multiplier les unités des soins palliatifs qui assurent aux patients les traitements nécessaires dans un contexte humain où la dignité ontologique de la personne est respectée et préservée. Au lieu de débattre la question de « mourir dans la dignité », faudrait-il commencer par multiplier les efforts pour « soigner dans la dignité »; le patient a droit d’être soulagé de ses souffrance et d’avoir une fin de vie qui soit digne jusqu’au son dernier souffle. C’est au nom ce principe que le CNOM appelle l’État à agir d’une façon concrète afin de permettre une meilleure application de la loi Claeys Leonetti :

« Rendre efficients les dispositifs dans les établissements médicaux, médico-sociaux et à domicile sur l’ensemble du territoire, faciliter l’accompagnement médical et médico-social du patient en fin de vie et de sa famille, favoriser la formation des professionnels de santé et des paramédicaux, libérer du temps pour les médecins traitants pour l’accompagnement de leurs patients, promouvoir une meilleure connaissance des médecins sur la prise en charge des patients en fin de vie » [17].

                                                                       

[1] A. Boudet, «Le résumé du discours d’Emmanuel Macron sur la fin de vie», 2023, Le HuffPost, in https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/en-direct-emmanuel-macron-fait-son-discours-sur-la-fin-de-vie_216069.html [3-4-2023].

[2] Comité consultatif national d’éthique. CCNE, «Avis n° 139, Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité», CCNE, Paris 13 septembre 2022, 63, in https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2022-09/Avis%20139%20Enjeux%20%C3%A9thiques%20relatifs%20aux%20situations%20de%20fin%20de%20vie%20-%20autonomie%20et%20solidarit%C3%A9.pdf [3-4-2023], 4, 34 et 36.

[3] «Rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie», Conseil économique, social et environnemental (CESE); Centre National fin de vie – soins palliatifs; Ministère de la Santé et de la Prévention, Paris avril 2023, 172, in https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/sites/cfv/files/CCFV_Rapportfinal.pdf [4-2-2023], 53, 120.

[4] Arguments pour : 1) L’aide active à mourir répond à des situations de souffrances mal cou-vertes par le cadre d’accompagnement actuel ; 2) L’aide active à mourir est complémentaire des soins palliatifs ; 3) L’aide active à mourir vient combler les limites de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; 4) L’aide active à mourir respecte la liberté de choix des individus ; 5) L’aide active à mourir met fin aux situations d’hypocrisie ; 6) L’aide active à mourir contribue à rassurer les personnes en fin de vie ; 7) L’aide active à mourir permet une fin de vie accompagnée.

Arguments contre : 1) La loi actuelle Claeys-Leonetti n’est pas pleinement connue ni appliquée ; 2) L’aide active à mourir représente un risque pour les personnes vulnérables ; 3) La légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie représente un danger pour notre système de santé ; 4) L’aide active à mourir porte atteinte à notre modèle de société et à l’esprit de solidarité ; 5) Le cadre d’une éventuelle loi sur l’aide active à mourir sera difficile à respecter.

Ibid., 40‑48.

[5] E. Hirsch, Devoir mourir, digne et libre, Le Cerf, Paris 2023, 46.

[6] P. Hetzel, «Le débat sur la fin de vie mérite mieux que l’amateurisme et les manipulations», Le Figaro (2023), in https://www.lefigaro.fr/vox/societe/patrick-hetzel-le-debat-sur-la-fin-de-vie-merite-mieux-que-l-amateurisme-et-les-manipulations-20230403 [4-4-2023].

[7] «Rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie», 49.

[8] F. Nietzsche, «Opinions et Sentences mêlées (Humain, trop humain, deuxième partie)», in https://fr.wikisource.org/wiki/Opinions_et_Sentences_m%C3%AAl%C3%A9es [2-4-2023].

[9] ««Une fin de vie libre et choisie»: débat sous haute tension à l’Assemblée nationale», 2021, LEFIGARO, in https://www.lefigaro.fr/actualite-france/une-fin-de-vie-libre-et-choisie-debat-sous-haute-tension-a-l-assemblee-nationale-20210405 [7-4-2021].

[10] J. Monod, L. Pauling et G. Thomson (et une quarantaine de savants de renommée mondiale), « Manifeste en faveur de l’euthanasie », The Humanist, juillet-août 1974 ; trad. Le Figaro, 1er juillet 1974. Cité dans :

M.-J. Thiel, «Dignité ? Circulez !», in A.-M. Dillens – B. Van Meenen (edd.), La dignité aujourd’hui : Perspectives philosophiques et théologiques, Collection générale, Presses de l’Université Saint-Louis, Bruxelles 2019, 103‑122, in http://books.openedition.org/pusl/22770 [2-4-2023].

[11] M.-J. Thiel, «La dignité humaine. Perspectives éthiques et théologiques», in Le corps, le sensible et le sens, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 2004, 131‑164, 7‑14.

[12] Ibid., 13.

[13] H. Arendt, Penser l’événement, Belin, Paris 1989, 102.

[14] Conseil National de l’Ordre des Médecins. CNOM, «Fin de vie et rôle du médecin», 2023, Conseil National de l’Ordre des Médecins, in https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/fin-vie-role-medecin [2-4-2023].

[15] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique, Volume 1 : Les fondements et l’éthique biomédicale, Mame – Edifa, Paris 2004, 168‑169.

[16] Conseil National de l’Ordre des Médecins. CNOM, «Fin de vie et rôle du médecin».

[17] Ibid.