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Fin de vie : Vrai ou Faux ? Trois propos en question
© Maroun BADR (PhD)
Docteur en bioéthique
Research Scholar at UNESCO Chair in Bioethics and Human Rights – Rome
Associate Researcher at Facultad de Bioética Universidad Anáhuac México
15/10/2025
Dans un entretien publié le 14 octobre 2025 dans le Journal Le Progrès, Monsieur Jean-Louis Touraine affirme qu’il est « scandaleux, inhumain, de reporter la loi sur l’aide à mourir » [i]. Parmi les propos recueillis, trois méritent d’être examinés pour répondre à une question principale : vrai ou faux ?
1. « Entre 1000 et 4000 euthanasies clandestines en France ». Vrai ou Faux ?
Plusieurs partisans de la loi sur l’euthanasie et le suicide assisté ont évoqué de tels chiffres. C’est le cas de Caroline Fiat [ii] et de Jean-Louis Touraine. Ce dernier, en se basant sur une étude de l’INED (2010), a déjà affirmé à plusieurs reprises qu’entre 2000 et 4000 personnes en phase terminale reçoivent cette aide (euthanasies pratiquées en toute illégalité [iii], « en catimini » [iv]) par le biais de « médecin compatissant et courageux » [v].
Or, l’étude de l’INED n’a jamais affirmé un tel chiffre de cette manière. Si des décisions médicales ont été prises tout en sachant qu’elles étaient susceptibles d’abréger la vie du patient (art. 2 de la Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (1)/Loi Leonetti et art. L1110-5-3 du Code de la santé publique/CSP), Monsieur Jean-Louis Touraine a mal calculé et mal interprété l’étude de l’INED [vi]. Selon celle-ci :
- 45 % des décès (soit 2 252 des cas sur 4 723) résultent des traitements qui n’ont pas été administrés dans l’intention de provoquer une accélération de la survenue de la mort et sont donc conformes à l’esprit de la loi.
- 3,1 % des décès (soit 148 cas sur 4 723) résultent d’un un acte visant à mettre fin à la vie de la personne :
- Décision de limitation ou d’arrêt des traitements (1,5 %),
- Intensification des traitements de la douleur (0,8 %),
- Administration de médicaments (0,8 %, soit 38 cas sur 4 723). Or, selon l’INED, 0,2 % (soit 11 cas sur 4 723) sont considérés comme euthanasie, le reste étant une sédation profonde et continue jusqu’au décès. En extrapolant ce chiffre sur le nombre de décès en France en 2009 (548 500 selon l’INSEE), on compterait 1 097 euthanasies clandestines pratiquées en 2009, soit 4 fois moins que le chiffre avancé par Madame Caroline Fiat et Monsieur Jean-Louis Touraine.
Néanmoins, cette extrapolation n’est pas précise et est contestable : d’une part, le nombre total de décès recensés par l’INSEE englobe aussi ceux des enfants et d’autre part, l’étude de l’INED ne porte que sur les décès en fin de vie des adultes.
Dans le même sillage, une autre étude effectuée dans les territoires français d’outre-mer indique que l’utilisation de médicaments pour mettre fin délibérément à la vie a été mentionnée dans 1,3 % des décès (sur 1815 décès), l’arrêt des traitements était la décision la plus fréquente (41 %) et la sédation profonde et continue jusqu’au décès a été mise en œuvre dans 13,3 % des cas [vii].
Entre les diverses pratiques en fin de vie et une administration des médicaments pour mettre délibérément fin à la vie, la différence est substantielle.
a) Refus de traitement : depuis la loi Leonetti du 22 avril 2005, « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement » (art. L1111-4 du CSP).
b) Limitation ou arrêt de traitement (LAT) : les dispositions de la loi Leonetti « permet sous certaines conditions de limiter ou d’arrêter un traitement, ou d’administrer des médicaments afin de soulager les souffrances du patient, qui peuvent avoir pour effet d’avancer la survenue de la mort » (c’est ce qu’on appelle l’action à double effet) ;
c) Sédation profonde et continue jusqu’au décès : depuis la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, tout patient atteint d’une maladie grave et incurable a le droit de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès (art. L1110-5-2 du CSP). Le patient, mourant, est sédaté (on l’endort) et on lui administre des analgésiques pour lutter contre la douleur. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est absolument pas une euthanasie : on n’administre aucunement une substance létale à la personne. La HAS a déjà affirmé en 2018 que ces deux pratiques sont complètement différentes quant à l’intention, au moyen pour attendre le résultat, à la procédure entreprise, au résultat attendu et à la temporalité du résultat [viii].
d) Euthanasie : elle constitue un acte dont la finalité principale est de tuer, elle-même illégale. L’étude de l’INED rapporte que « selon les médecins, environ 10 % des arrêts de traitement, des intensifications du traitement de la douleur et des administrations de substances létales n’ont pas été discutés avec le patient, bien que celui-ci en ait été jugé apte, ce qui n’est pas conforme à la loi Leonetti. De surcroît, dans 10 % des cas d’intensification du traitement de la douleur, et même dans 2 des 38 administrations d’une substance létale, le médecin déclare avoir pris la décision seul» [ix]. Ceci pose également le problème de la gravité d’une telle décision sans prendre en considération la volonté et le consentement du patient ainsi que la collégialité !
C’est FAUX. En France il n’y a pas entre 1000 et 4000 euthanasies clandestines.
Ces chiffres sont tronqués et l’interprétation de l’étude de l’INED est biaisée !
2. « Nous sommes comme en 1975 s’agissant de l’IVG ». Vrai ou Faux ?
Dans les circonstances actuelles de la proposition de loi sur la fin de vie, il est facile de faire un rapprochement avec l’IVG, notamment avec une soi-disant bataille pour l’autonomie et pour la liberté du choix. Néanmoins, il existe aussi une différence substantielle entre celui qui subit la mort dans l’IVG et celui qui subit la mort dans l’aide à mourir.
Dans le cas de l’IVG, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas uniquement de la liberté de la femme mais aussi de la vie de l’enfant à naître. Or, puisque celui-ci est dépourvu d’une personnalité juridique, donc il n’a pas droit à la vie, l’IVG n’est pas qualifiée d’homicide volontaire ou de meurtre. D’autant plus, même l’homicide involontaire n’est pas appliqué dans les cas où l’enfant à naître meurt suite à divers accidents [x].
En contrepartie, dans le cas de l’aide à mourir, la personne qui subit la mort est une personne au sens juridique. Or, porter atteinte à la vie d’une personne pourvue d’une personnalité juridique constitue un meurtre selon l’art. 221-1 du Code pénal (C. pén.) et un assassinat selon l’art. 221-3 du même code. Il s’agit d’un acte puni de trente ans de réclusion criminelle (art. 221-5 du C. pén.).
Même si l’intéressé donne son « consentement » à l’aide à mourir, particulièrement à l’euthanasie, sur le plan pénal l’acte commis est lié au sujet qui commet l’acte et non pas à celui qui le subit. Il s’agit de l’animus necandi ou la volonté de tuer présente au moment de l’acte. Cet animus necandi est indépendant des mobiles qui inspirent l’auteur de l’acte : que l’on tue par profit, par amour, ou pour abréger la souffrance, le meurtre est constitué dès lors que la volonté de donner la mort est présente. Le consentement du patient n’a aucune incidence sur la qualification de l’acte (en l’occurrence le meurtre) et ne peut être source de non répression pour son auteur. L’acte demeure un meurtre par son essence. Or, la proposition de loi ne fait que créer techniquement (art. 122-4 du C. pén.) une exception à l’interdit pénal, une sorte d’assassinat consenti ou imposé par certains. Ça reste une exception, donc par essence l’euthanasie demeure un meurtre autorisé par des dispositions (législatives ou réglementaires).
C’est FAUX. Juridiquement parlant, en ce qui concerne l’intéressé par l’acte,
nous ne sommes pas comme en 1975 s’agissant de l’IVG !
3. « Le projet de loi reste plus restrictif qu’ailleurs ». Vrai ou Faux ?
Monsieur Jean-Louis Touraine affirme dans cet entretien que de cette proposition de loi « sont exclus les mineurs, les malades mentaux, les gens qui n’ont pas récemment toute leur conscience ». Nonobstant, il serait bien de rappeler les éléments suivants :
a) Même si Monsieur Touraine évoque qu’ « on peut se résigner à la souffrance et compter sur les soins palliatifs », il oublie complètement de préciser que ces soins (qui luttent contre les douleurs des personnes incurables et gravement atteintes), respectent la situation des patients, leur volonté, prennent soin d’elles et affirment une réalité de non abandon. La Société soutient ses vulnérables (vieux, handicapés, précaires…) et ne les abandonne pas.
b) Depuis la loi n°99-477 du 9 juin 1999 qui a instauré le droit à l’accès aux soins palliatifs, ces derniers ne sont pas développés. Il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes. Avec la crise du système de santé, les besoins estimés de soins palliatifs ne sont « couverts qu’à hauteur de 50 % » [xi]: 500 personnes meurent chaque jour sans avoir pu bénéficier de ces soins [xii].
c) Nombreux sont les amendements rejetés visant à protéger les personnes vulnérables : AS000013, AS156, AS392, AS568, AS685, AS1015, AS1031, AS1110, N° 713, N° 1128, N° 1613, N°1802, N° 2156.
d) Il y a presqu’un an, Monsieur Jean-Louis Touraine a dévoilé son intention, explicitement et sans aucun scrupule, décrédibilisant ainsi ses propos dans l’entretien du journal Le Progrès. Lors d’une Conférence publique du 30 novembre 2024, il a affirmé ce qui suit : « Il faut obtenir le plus possible. Et surtout, une fois qu’on aura mis le pied dans la porte, il faudra revenir tous les ans et dire qu’on veut étendre ça. Parce que […] dans la première loi, il n’y aura pas les mineurs, dans la première loi, il n’y aura les maladies psychiatriques, dans la première loi, il n’y aura même pas les maladies d’Alzheimer. Donc, tout ça ne viendra pas tout de suite. Mais, dès qu’on aura au moins obtenu une loi pour ceux qui ont une maladie de Charcot, pour certaines formes de tumeurs généralisées, pour ceci pour cela, après on pourra étendre les choses en disant que ce n’est quand même pas normal qu’il y ait des malades, des Français, parce qu’ils ont telle forme de maladie, qu’ils y ont droit et puis les autres qui n’y ont pas droit » [xiii] (Sur la vidéo ci-dessous, à partir de 32 min. 30 sec.).
C’est FAUX. Cette proposition de loi n’est pas la plus restrictive qu’ailleurs : elle n’est qu’un prélude d’un projet eugéniste par excellence ! C’est l’inverse, elle est la plus permissive :
- Deux jours de réflexion pour mourir
- Contrôle a posteriori
- Délit d’entrave
- Immense éligibilité : dont les personnes avec déficience intellectuelle
- Pas de protection dédiée
- Collégialité artificielle
- Pas de clause de conscience pour les pharmaciens
- Même le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations unies s’interroge sur ces pratiques dans sa lettre du 23 juin 2025, adressée au Gouvernement français [xiv].
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