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L'onction des malades au temps du Covid-19
Approche personnaliste

© Maroun BADR (PhD)

Docteur en bioéthique

Fréjus, 04/07/2020

Mon intervention (texte originel en italien) au Webinaire (03-04/07/2020) organisé par la faculté de Bioéthique de l’Athenaeum Pontificium Regina Apostolorum (Rome) en collaboration avec la Chaire UNESCO en Bioéthique et Droits de l’Homme (Rome) et l’Université Anáhuac (Mexico).

Le rapport entre la bioéthique et l’onction des malades peut sembler, à première vue, étrange et choquant. La bioéthique contemporaine[i], notamment celle qui est pratiquée dans beaucoup d’établissements de santé publics, essaye de se référer à des notions et principes neutres, philosophiques et laïques, alors que l’onction des malades fait référence à une célébration sacramentelle et liturgique. Rappelons-nous que toute mention de Dieu dans le domaine de la bioéthique actuelle est souvent accusée de sectarisme puisqu’elle n’est pas considérée comme accessible à tout le monde. Pourtant, dans ce contexte de tiraillement et pendant cette crise sanitaire du Covid-19, l’Église était bien engagée et touchée comme d’autres. À partir de là, cette réflexion consiste à aborder le lien entre la bioéthique et l’onction des malades à travers une approche personnaliste et ceci en relevant deux principaux défis.

Soigner le corps ou la personne ?

La maladie est en premier lieu une atteinte au corps. Le gouvernement avec

« toutes les ressources du corps social ont été mobilisés pour venir au secours des menacés. Tout a été mis en œuvre, sans considération du coût, pour éviter que les corps soient atteints et pour venir au secours de ceux qui l’étaient [ii]. »

Ce qui répond parfaitement à ce besoin de conserver la première valeur fondamentale de la personne, celle de la vie corporelle. Toutefois, on a oublié un aspect important.

La maladie est une atteinte à l’esprit aussi

Si la maladie est une atteinte au corps, elle est aussi une atteinte à l’esprit. Le malade est son corps mais il n’est pas que corps. Le malade est une personne, une relation subsistente dont la substance est l’union de l’âme au corps comme le rappelle Thomas d’Aquin. Si les soins médicaux nécessaires et urgents sont indispensables à la vie du patient, il n’en est pas moins du sacrement des malades indispensable à la vie spirituelle, voire corporelle. L’Église croit et enseigne que l’onction des malades ne confère pas seulement le réconfort et « la guérison de l’âme, mais aussi à celle du corps, si telle est la volonté de Dieu[iii]. » Se concentrer sur le seul aspect des soins corporels du patient crée une dissociation de son identité personnelle en le réduisant seulement à son corps.

Par ailleurs, l’histoire de l’éthique médicale montre bien l’implication des prêtres dans la médecine. On le voit par exemple dans le haut Moyen Âge où les évêques sont considérés comme pasteurs et médecins ; les monastères étaient des centres médicaux[iv] dans lesquels le souci pour le bien-être, pour la santé physique et spirituel des malades était primordiale et les soins de santé sont assurés par des prêtres séculiers et religieux tout en pratiquant en même temps le sacrement de l’onction des malades au cas des maladies graves[v]. D’ailleurs, le mot « santé », du salus en latin, ne fait aucune distinction entre le bien-être corporel et le salut spirituel[vi].

Agir par socialité et subsidiarité

Ce rappel historique permet de comprendre le premier défi que l’Église a affronté lors de la crise sanitaire actuelle. Certaines décisions ont empêché et interdit toute visite des malades même si ces derniers ou leur famille demandent la présence d’un prêtre. Mgr. Éric de Moulins-Beaufort a regretté que

« les plans d’urgence des hôpitaux, prévoyant de ne plus y laisser entre le ‘personnel non-indispensable’, incluent dans cette catégorie les aumôniers et tous les visiteurs. Non seulement une telle mesure réduit le patient à n’être qu’un bénéficiaire de soins médicaux mais elle fait peser le poids de l’accompagnement des personnes sur les seuls soignants, par définition débordés dans une telle situation [vii]. »

C’est ainsi que pas mal de prêtres, suivant le principe de socialité et de subsidiarité[viii], ont répondu aux appels de quelques directeurs d’hôpitaux afin de pourvoir le sacrement de l’onction aux patients qui le demandent.

Un cas de conscience

Sachant que la vie corporelle « n’épuise certainement pas toute la grandeur[ix] », l’identité et la richesse de la personne et sachant qu’au-dessus de la valeur « fondamentale » de la sauvegarde de la vie physique, « seul existe le bien total et spirituel de la personne[x] », beaucoup de prêtres ont fait face aux restrictions recommandées. Leur décision de conférer le sacrement des malades était une réponse qui dépend de leur liberté et de leur libéralité. L’Église n’a pas empêché les prêtres de le faire, ni les a incités à le faire, laissant le choix à une liberté de conscience. Cependant, cette situation mérite une attention particulière.

Que dois-je faire?

Les statistiques montrent que le nombre de prêtres décédés par le Covid-19 est remarquable : on compte plus de 111 prêtres décédés en Italie[xi] et plus de 42 prêtres en France[xii] parmi lesquels il y avait des aumôniers d’hôpitaux ou des maisons de retraite ; leur mission principale était de conférer le sacrement des malades. Ce nombre de décès a poussé beaucoup de prêtres à se poser la question : que dois-je faire ? Entre le devoir, en tant que pasteur et médecin de l’âme, d’apporter ce sacrement aux patients et le droit de sauvegarder sa propre vie physique en évitant d’être exposé – et d’exposer les autres – au danger de la contagion, la crise de conscience est lourde. Si « le droit à la sauvegarde de la vie se place au premier rang devant le droit à la liberté » laquelle « doit tout d’abord se tenir responsable de sa propre vie et de celle d’autrui[xiii] », un dilemme se met en place concernant l’onction des malades. Et voici le second défi.

Le bien spirituel est plus élevé que celui du corporel

Est-ce que les prêtres sont libres de conférer ce sacrement pour le bien spirituel de la personne malade même si on parcourt le danger de la contagion ? Ou est-il légitime de sauvegarder sa propre vie même s’il y a un besoin d’un bien spirituel urgent ? Les réponses à ces deux questions ne sont pas du tout faciles. Thomas d’Aquin propose deux critères pour un bon discernement.

« D’une part, dans l’ordre naturel des choses, l’homme est tenu d’aimer son propre corps qui lui est proche plus que son prochain[xiv]. Dans ce cas là, quand il y a une égalité de dommage dans des biens de même importance, on a la possibilité de choisir entre la conservation de notre bien ou celle du bien d’autrui. […] D’autre part, puisque dans l’ordre des choses l’élément spirituel est plus élevé que celui du corporel, l’homme doit chercher le bien spirituel même s’il doit, dans certains cas, sacrifier des biens naturels [xv]. »

Naturellement, par biens naturels, l’Aquinate parle aussi de la vie. Par conséquent, la responsabilité requise pour sauvegarder sa vie vient en deuxième lieu quand il s’agit de l’onction des malades. Raoul Follereau et Mère Teresa, par exemple, n’avaient pas peur de toucher les plus démunis de la société.

Ainsi, ces prêtres morts par le Covid-19 en conférant le sacrement de l’onction des malades ont agi avec responsabilité priorisant la personne en sa totalité : corps et âme. Leur action ne pourrait se comprendre que dans le contexte d’une « perfection surabondante[xvi] » de l’amour du prochain « qui relève du conseil que le Christ donne et auquel on n’est pas tenu, mais laissé au libre choix[xvii]. » Ces prêtres ne seraient-ils pas des martyrs de la charité en sacrifiant leur vie pour les autres parce qu’ils sont portés par leur fidélité au « bien supérieur à s’exposer à un risque motivé[xviii] » ?

 

Le lien entre la bioéthique personnaliste et l’onction des malades est assez important mais il reste oublié à cause de la « laïcisation » de la bioéthique qui s’efforce d’être neutre en écartant tout aspect théologique et toute pratique religieuse. La médecine des catastrophes lors de cette crise sanitaire du Covid-19 s’est montrée incapable d’accompagner les malades sur tous les niveaux, se concentrant seulement sur le bien-être physique, même si ce dernier est fondamental. Dans ce contexte particulier, l’Église a prouvé sa capacité de respecter ce qui est demandé par l’État. Elle est même prête à « continuer d’enrichir la formation des aumôniers d’hôpitaux […] pour qu’ils soient mieux capable d’apporter leur aide […] dans de telles situations[xix]. »

 


[i] (Stephen) Joseph Tham, «La Bioetica e il Sacramento dell’Unzione degli Infermi», Sacerdos Magazine (Italian ed.) 66 (2008), 44-47., in https://www.academia.edu/8008937/La_Bioetica_e_il_Sacramento_dell_Unzione_degli_Infermi [3-7-2020].

[ii] É. de Moulins-Beaufort, Le matin, sème ton grain, Mame, Bayard, Le Cerf 2020, 29.

[iii] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1520.

[iv] G. Minois, Le Prêtre et le médecin. Des saints guérisseurs à la bioéthique, Cnrs, Paris 2015, 7‑30.

[v] Ibid., 40‑41.

[vi] J. Tham, “La bioetica e il sacramento dell’Unzione degli infermi”, Sacerdos Magazine (Italian ed.), 66 (2008), 44-47, 44.

[vii] É. de Moulins-Beaufort, Le matin, sème ton grain, 35.

[viii] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique , Volume 1 : Les fondements et l’éthique biomédicale, Mame – Edifa, Paris 2004, 170‑172.

[ix] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique, Volume 2 :Aspects médicaux sociaux, Mame, Paris 2012, 515.

[x] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique, Voume 1, 163.

[xi] J. Berset, «Coronavirus: déjà 111 prêtres décédés en Italie suite à la pandémie – Portail catholique suisse», 2020, in https://www.cath.ch/newsf/coronavirus-deja-111-pretres-decedes-en-italie-suite-a-la-pandemie/ [22-6-2020].

[xii] «Au moins 42 prêtres et religieux emportés par le Covid-19 en France», in https://fr.aleteia.org/2020/04/15/au-moins-42-pretres-et-religieux-emportes-pars-le-covid-19-en-france/?fbclid=IwAR3ULqTl-eqWXcGX0lEIp2mvSt9eSqoMU22It6G1EqZf0z_XQwwaE1VFhds [4-7-2020].

À ce jour, la Conférence des Évêques de France (CEF) n’a émis aucun document et recension officiels à ce propos.

[xiii] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique, Voume 1, 167.

[xiv] T. D’Aquin, «Somme Théologique II-II», in http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/sommes/3sommetheologique2a2ae.htm [26-3-2020], q. 26, a. 5, arg. 2.

[xv] M. Badr, L’acte du martyre – Cause, motif et moralité selon saint Thomas d’Aquin, Editions Docteur angélique, Avignon 2020, 153‑161.

[xvi] J. Torrell, La Perfection, c’est la charité, Les éditions du Cerf, Paris 2010, 598‑610.

[xvii] M. Badr, L’acte du martyre, 156.

[xviii] E. Sgreccia, Manuel de bioéthique, Voume 1, 164.

[xix] É. de Moulins-Beaufort, Le matin, sème ton grain, 36.

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