Quand aider à mourir les morts devient possible…
© Maroun BADR (PhD)
Docteur en bioéthique
Research Scholar at UNESCO Chair in Bioethics and Human Rights – Rome
Associate Researcher at Facultad de Bioética Universidad Anáhuac México
13/04/2025
Introduction
Dans plusieurs amendements sur le projet de loi sur la Fin de vie (AS776 sur l’art. 4 al. 9, AS777 sur l’art. 5 al. 4, AS782 sur l’art. 6 al. 12 et AS787 sur l’art. 9 al. 5), le 5 avril 2025, Michel Lauzzana (député du Lot-et-Garonne, Ensemble pour la République) évoque l’importance de garantir que « la volonté d’une personne, lorsqu’elle se trouve dans un état de mort cérébrale, de coma ou d’état végétatif irréversible, soit prise en compte dans le cadre d’une demande d’aide à mourir [1] » (à la date de la rédaction de cette analyse, les amendements sont en traitement).
Est-il possible d’évoquer une aide à mourir pour une personne qui se trouve dans un état de mort cérébrale qui n’est aucunement semblable au coma* et à l’état végétatif** (voir l’explication de ces deux notions à la fin de l’article) ? Afin de mieux répondre à cette question, il importe de bien préciser qu’est-ce qu’on entend par une mort cérébrale (1) et quelles seraient ses implications éthico-juridiques liées aux directives anticipées dans le contexte de l’aide à mourir (2).
1. De la mort clinique à la mort cérébrale
En médecine, on peut rencontrer deux types principaux de mort : la mort clinique (1.1) et la mort cérébrale (1.2.).
1.1. La mort clinique
La mort clinique, parfois appelée mort apparente, se caractérise par l’arrêt des fonctions vitales à savoir les fonctions cardio-respiratoires. Son diagnostic repose sur deux types de signes. D’un côté, il y a les signes négatifs de vie [2] tels que l’absence de respiration, du battement cardiaque (pouls), de la réaction à la lumière des pupilles (mydriase bilatérale), du tonus musculaire, de la conscience et de la sensibilité. D’un autre côté, il y a les signes positifs de mort [3] tels que l’hypothermie (refroidissement progressif du corps), la rigidité et les lividités (coloration cutanée rouge-violacée) cadavériques, la déshydratation et la putréfaction (signes externes de décomposition des tissus).
La mort clinique peut être temporaire et potentiellement réversible si une intervention rapide de réanimation cardiopulmonaire (appelée également réanimation cardiorespiratoire) est effectuée et si le cerveau n’a pas été privé longtemps d’oxygène.
1.2. La mort cérébrale
La mort cérébrale, appelée aussi mort encéphalique [4], évoque la cessation irréversible de toute activité du cerveau et du tronc cérébral. Elle peut être causée soit par la perte du battement cardiaque entraînant une anoxie (privation d’oxygène), soit par une altération neurologique induisant l’arrêt du cerveau, en conséquence la respiration et le battement cardiaque.
Le diagnostic de la mort cérébrale ou encéphalique est effectué soit dans l’incertitude du diagnostic de la mort clinique, soit dans le but principal du prélèvement d’organes. En effet, le Code de la santé publique (CSP), dans le droit des prélèvements d’organes (art. R. 1232-1) donne une définition précise et opérationnelle sur la mort et son constat. L’art. préconise qu’en cas d’arrêt cardiaque et respiratoire persistant, « le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : 1° Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ; 2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; 3° Absence totale de ventilation spontanée ». Néanmoins, ces critères ne s’appliquent « pas automatiquement en dehors du cas prévu, c’est-à-dire un prélèvement d’organe sur une personne décédée, et donc qu’en dehors de ce cas cela demeurait une pure question de fait, la preuve de la date étant libre [5]. » En conséquence, le diagnostic de la mort cérébrale doit être confirmé par des examens paracliniques [6]. L’art. R. 1232-2 du CSP préconise la pratique de l’électroencéphalogramme/EEG (un tracé isoélectrique sur deux EEG à quatre heures d’intervalles) et ou de l’angiographie cérébrale conventionnelle ou numérisée (pour confirmer l’absence de perfusion cérébrale). Dans certains cas, d’autres examens paracliniques sont utilisés tels que l’angioscanner cérébral [7] (pour confirmer l’arrêt circulatoire), la surveillance de l’index bispectral/BIS [8] (un paramètre dérivé de l’EEG, utilisé pour surveiller la profondeur de la sédation ou de l’anesthésie permettant ainsi la surveillance de la conscience chez des patients sédatés) et le Doppler transcrânien/DTC [9] (pour évaluer la dynamique du flux sanguin dans le cerveau).
Même si l’individu peut être maintenu artificiellement « en vie » (appareil respiratoire et médicament) assurant ainsi le maintien des fonctions de certains organes, la mort cérébrale est irréversible et ces organes mourront avec la cessation des mesures artificielles.
Cette clarification sur ces deux types de mort permet de mieux saisir la question de la volonté la personne dans le cadre de l’aide à mourir.
2. La volonté de la personne et l’aide à mourir
Dans les situations où la personne n’est plus en mesure d’exprimer une volonté libre et éclairée, les deux amendements prévoient que l’aide à mourir peut être « valablement manifestée par l’intermédiaire de ses directives anticipées ou, à défaut, par sa personne de confiance, dans les conditions prévues par le code de la santé publique [10]. » Puisque le rôle de la personne de confiance n’est que consultatif [11] (art. L. 1111-6 du CSP), nous nous arrêtons uniquement sur les directives anticipées (DA).
L’instauration des DA remonte à la Loi Leonetti (22 avril 2005). Depuis la Loi Claeys-Leonetti (2 février 2016), elles s’imposent au médecin. Elles permettent à toute personne qui n’est plus en capacité de communiquer ses volontés d’exprimer ces dernières en ce qui concerne les questions relatives à la fin de vie (art. R. 1111-17 à R. 1111-20). Cependant, dans le contexte de l’aide à mourir, le recours aux DA dans le cas d’une mort clinique (2.1) n’est pas identique à celui dans le cas d’une mort cérébrale (2.2).
2.1. Directives anticipées et mort clinique
En cas d’une mort clinique, donc potentiellement réversible, les DA peuvent empêcher la réanimation cardiorespiratoire [12] et du maintien artificiel de la vie qui en résulte. En effet, si la personne a mentionné dans ses DA qu’elle ne souhaite pas être réanimée, elle ne le sera pas. En revanche, si on découvre après la réanimation cardiorespiratoire initiale que la personne ne souhaitait pas être réanimée, dans ce cas là les soins seront arrêtés jusqu’à la mort cérébrale irréversible.
2.2. Directives anticipées et mort cérébrale
En revanche, dans le cas d’une mort cérébrale, donc irréversible, les DA peuvent empêcher le maintien artificiel des fonctions vitales (principalement la ventilation mécanique, l’hydratation et les apports caloriques). Ce maintien artificiel n’a pour but médical que d’assurer que certains organes sont encore vivants pour un éventuel don. Ainsi, si la personne a exprimé clairement, dans ses DA ou dans le registre national des refus de dons d’organes [13], son souhait de ne pas donner ses organes et ses tissus après sa mort, tout maintien artificiel des fonctions vitales en cas de mort cérébrale n’a aucune justification. Cependant, ne pas maintenir artificiellement ces fonctions vitales ne peut en aucun cas être synonyme d’une aide à mourir puisque la personne est déjà morte.
Conclusion
Suite à notre analyse, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :
- Il est impertinent de garantir que « la volonté d’une personne, lorsqu’elle se trouve dans un état de mort cérébrale […] soit prise en compte dans le cadre d’une demande d’aide à mourir». Celle-ci ne peut s’appliquer que sur une personne vivante (comme dans le cas d’un coma ou d’un état végétatif).
- Dans le contexte médical, la seule garantie qui peut être offerte à une personne diagnostiquée d’une mort cérébrale est celle qui concerne son accord ou son refus du don d’organes, exprimé préalablement dans les DA ou sur le registre national des refus de dons d’organes. Les lois concernant les prélèvements d’organes sont suffisantes et il n’y a pas de raison pour traiter le sujet dans les questions relatives à l’aide à mourir.
- Il serait plus judicieux que le choix des mots et des expressions dans les textes concernant la fin de vie repose sur des données objectives et scientifiques afin d’éviter toute confusion.
* Le coma est une altération de la conscience (absence de réveil) évolutive vers la mort ou vers le retour de la conscience. La circulation sanguine continue dans le cerveau, donc l’oxygène y arrive, ce qui maintient certaines des ses fonctions. La personne peut présenter des mouvements musculaires et peut respirer sans qu’elle ait besoin d’une ventilation artificielle.
** L’état végétatif est une aréactivité (absence de réactivité) et une abolition de la conscience. La personne présente un cycle de sommeil-réveil, souvent avec une activité respiratoire autonome. Elle peut manifester des mouvements spontanés des membres inférieurs et supérieurs (même avec une posture pathologique) et des automatisations motrices, c’est-à-dire sans contrôle cognitif (mastication, grincement des dents, bâillement, sourire, etc.). En revanche, la personne ne montre aucun signe de conscience d’elle-même ou de l’environnement, et n’a aucune capacité d’interaction avec autrui. Elle n’a aucun réflexe intentionnel.
[1] M. Lauzzana, «Fin de vie (N° 1100) – Amendements AS776, AS777, AS782 et AS787», Assemblée nationale, Paris 5 avril 2025, in https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements?dossier_legislatif=DLR5L17N51670 [12-4-2025].
[2] Q. Lecourt, Le constat de décès en médecine générale: étude qualitative auprès de médecins généralistes aquitains, Université de Bordeaux, Bordeaux 2021, in https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03192198v1/document [12-4-2025], 5, 17; C. Schweyer, «Reportage sur la médecine légale de Lyon», 2015, in https://sciencespourtous.univ-lyon1.fr/medecine-legale-a-lyon-mort-vivants/ [12-4-2025].
[3] J. Laengy, «Mort ou signes de la Mort | Formation de l’ambulancier : module 1», 2009, in https://www.ambulancier-lesite.fr/mort-signes-mort-ambulancier/ [12-4-2025].
[4] P. Agence de la biomédecine. ABM, «Mieux comprendre la mort encéphalique (ou « mort cérébrale »)», 2023, Agence de la biomédecine, in https://presse.agence-biomedecine.fr/?p=3431 [12-4-2025].
[5] J. Hauser, «Fin de LA vie ou fin de SA vie», Dalloz Actualité (2014), in https://actu.dalloz-etudiant.fr/focus-sur/article/fin-de-la-vie-ou-fin-de-sa-vie/h/a35b1eb6549ff0c8250770baf3dec13c.html [12-4-2025].
[6] C. Zamour-Tissot – R. Lafarge, «Le diagnostic de mort encéphalique», in La mort encéphalique, Société Française de Médecine d’Urgence 2010, 507‑517, in https://www.sfmu.org/upload/70_formation/02_eformation/02_congres/Urgences/urgences2010/donnees/pdf/046_zamour.pdf [12-4-2025].
[7] F. Clarençon et al., «Le scanner de mort encéphalique», Journal d’imagerie diagnostique et interventionnelle 3/3 (2020), 157‑161, in https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2543343120300336 [12-4-2025].
[8] C. Zamour-Tissot – R. Lafarge, «Le diagnostic de mort encéphalique», 515; G. Audibert, «Prise en charge d’un patient en état de mort encéphalique», SFAR Société Française d’Anesthésie et de Réanimation 2018, 21, in https://sfar.org/wp-content/uploads/2018/10/32-Prise-en-charge-d-un-patient-en-etat-de-mort-encephalique-1.pdf [12-4-2025], 6.
[9] G. Audibert, «Prise en charge d’un patient en état de mort encéphalique», 6.
[10] M. Lauzzana, «Fin de vie (N° 1100) – Amendements AS777 et AS787».
[11] «Désigner une personne de confiance», 2024, in https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/preserver-son-autonomie/organiser-a-l-avance-sa-propre-protection/undefinedpreserver-son-autonomie/organiser-a-l-avance-sa-propre-protection/designer-une-personne-de-confiance [13-4-2025].
[12] Conseil National de l’Ordre des Médecins. CNOM, «Directives anticipées», Ordre National des Médecins février 2015, in https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/rapports/directives-anticipees#:~:text=%C2%AB%20Parfaitement%20inform%C3%A9%20de%20l’%C3%A9volution,surviendrait%20dans%20un%20tel%20contexte. [13-4-2025]; Ministère de la Santé et de la Prévention, «Directives anticipées», avril 2023, in https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/2023_04_modele_directives_anticipees.pdf [13-4-2025]; «Tout comprendre sur les directives anticipées», 2024, info.gouv.fr, in https://www.info.gouv.fr/actualite/tout-comprendre-sur-les-directives-anticipees [13-4-2025].
[13] «Inscription au registre national des refus de dons d’organes», Service-Public, in https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R18929 [13-4-2025].



