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"Vaccins Covid-19 et fœtus avortés. Quelle moralité?"

© Maroun BADR (PhD)

Docteur en bioéthique

Fréjus, 13/03/2021

L’utilisation des cellules fœtales dérivées d’un avortement pour produire des vaccins n’est pas nouvelle. Dans les années 60, on l’a fait pour produire le vaccin de la rubéole, la varicelle, l’hépatite A et le zona. Actuellement, pour le SARS-CoV-2, on utilise la lignée de cellules fœtales [1] du type HEK-293 (cellules embryonnaires du reins) provenant d’un fœtus avorté en 1972 au Pays-Bas ou du type PER.C6 (cellules embryonnaires de la rétine) provenant d’un fœtus de 4 mois avorté en 1985 également aux Pays-Bas. Ces cellules permettent de produire ce qu’on appelle des « vecteurs viraux » (adénovirus) dont le rôle consiste à transporter les gènes du nouveau virus développés dans ces cultures cellulaires, précisément la protéine de spicule du coronavirus, pour stimuler le système immunitaire de la personne vacciné afin de produire des anticorps. L’utilisation des cellules fœtales a un avantage par rapport aux celles des adultes : elles sont moins susceptibles d’être contaminées par des virus ou des bactéries, et la probabilité d’avoir subi des mutations génétiques restent minimes.

La confusion

Dans ce contexte, les voix s’élèvent contre ce type de vaccin considéré mauvais, immoral, parce qu’on a utilisé des cellules des fœtus avortés. Lundi 8 mars 2021, 96 femmes catholiques de 25 pays différents ont publié une lettre [2] pour s’opposer à ce qu’elles appellent vaccins Covid-19 « contaminés par l’avortement ». Le lendemain, dans un communiqué de la Conférence des évêques catholiques du Canada, ces derniers « recommandent de ne pas recevoir les vaccins de Johnson & Johnson et d’AstraZeneca, parce que leur procédé de fabrication est lié à des cellules dérivées de l’avortement » [3]. Ce communiqué a été mal reçu par certains diocèses canadiens qui ont déploré le propos de la Conférence des évêques [4]. Alors, on peut se demander à quoi sert la note de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la moralité de l’utilisation de certains vaccins anti-Covid-19 publiée le 21 décembre 2020 ?

Cette ambiance ne fait que créer une tension chez les fidèles et alimenter une crise de conscience. Est-il moralement acceptable de produire ces vaccins et de se faire vacciner avec des tels vaccins ? Ne serait-on pas complice d’un mal, d’un crime, si on le fait ? Comment juger ? Répondre à de telles questions ne pourrait jamais se faire dans un « sentimentalisme » ou dans un « zèle de foi » condamnant des actes humains – la fabrication des vaccins et le fait de se faire vacciner – en recourant à un jugement moral non fondé sans connaissance de cause et de vérité. « Tous les hommes aspirent à la connaissance » [5] dont l’objet est la vérité. Tout jugement, y compris le jugement moral, se fait à la lumière de la vérité non seulement en recourant à la foi mais aussi à la raison.

Discernement : Fides et ratio

Le Pape Jean-Paul II dans son encyclique Fides et ratio nous le rappelle clairement : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité » [6]. La Doctrine sociale de l’église ne cesse de nous le rappeler également d’une autre façon : « la vérité à propos du bien et du mal est pratiquement et concrètement reconnue par le jugement de la conscience, qui conduit à assumer la responsabilité du bien accompli et du mal commis » [7]. La vérité ne peut se réduire à une simple opinion, et proclamer un jugement moral vis-à-vis des vaccins, n’est pas une opinion. « Plus les personnes et les groupes sociaux s’efforcent de résoudre les problèmes sociaux selon la vérité, plus ils s’éloignent de l’arbitraire et se conforment aux exigences objectives de la moralité » [8].

Loin d’inciter les gens à recourir à tel ou tel vaccin, loin de favoriser l’un et défavoriser l’autre, et loin de donner des preuves que telle ou telle entreprise a utilisé ou non des cellules de fœtus avortés pour la fabrication de leur vaccin, cet article n’a pour but que de mener une réflexion claire et systémique pour donner les bases nécessaires et fondamentales d’un jugement moral.

Les sources de la moralité

Comprendre la moralité d’un acte, le juger bon ou mauvais, passe par un processus d’une analyse de ses éléments. Reprenant Thomas d’Aquin [9], le Catéchisme de l’Église Catholique rappelle que les trois éléments d’un acte humain qui constituent la source de sa moralité [10] : l’objet, les circonstances et la fin. Appliquons l’analyse de ces trois éléments au cas des vaccins en question.

L’objet

Deux de ces trois éléments ne posent pas de problèmes éthiques. D’une part, l’objet, la matière de l’acte humain, est ce qu’on fait. Certains pensent que l’objet consiste à avorter des fœtus. Or ce n’est pas le cas. L’objet est la fabrication des vaccins. Rajoutons à cela, que l’avortement de ces fœtus se situe à distance dans le temps (1972 et 1985) ; il s’agit d’un acte déjà accompli. Ainsi, l’objet en soi, la fabrication des vaccins, est bon.

La fin

D’autre part, la fin visée par l’intention, comme élément essentiel de la qualification morale de l’action, est la santé personnelle et la santé publique. Il s’agit d’arriver au but poursuivi dans l’action lequel constitue le terme de l’intention. Autrement dit, on vise à créer une immunité collective contre le virus pour éviter sa propagation, réduire les contaminations et le nombre de décès. Cette fin en soi est bonne.

Les circonstances

La critique de ceux qui sont contre ce type de vaccin concerne le troisième élément : les circonstances qui incluent les moyens. Le principe célèbre en est : « la fin ne justifie pas les moyens » ! Cependant, faudrait-il peut-être disséquer ce slogan pour en tirer les bonnes conclusions dans le contexte de la vaccination anti-covid. Trois points requièrent notre attention.

1) L’avortement est toujours prohibé

L’Église catholique n’a jamais cessé de défendre la vie en appelant à bien traiter et à respecter l’être humain « dès sa conception » puisque « la vie humaine est sacrée et inviolable dans tous les moments de son existence, même dans le moment initial qui précède la naissance » [11]. En conséquence, sur le plan moral, l’avortement délibérée est este toujours mauvais et « ne peut jamais être licite » [12]. La dernière note de la Congrégation pour la doctrine de la foi concernant ces vaccins était claire. On y insiste catégoriquement sur le fait que « l’utilisation moralement licite de ces types de vaccins, en raison des conditions particulières qui le justifient, ne peut en elle-même constituer une légitimation, même indirecte, de la pratique de l’avortement » [13][i]. Donc, l’avortement ne peut jamais être le moyen pour la bonne fin qu’est la fabrication des vaccins.

2) La coopération au mal

Dans l’analyse du 2ème élément de l’acte humain, les circonstances, le dilemme de la coopération [14] au mal de l’avortement est au centre de la discussion. Il faut bien en distinguer deux niveaux.

      a) La coopération formelle

Il y a la coopération formelle par laquelle on veut le mal, on a l’intention de le faire. Dans le cas des vaccins, il s’agit soit de participer directement et volontairement à l’avortement ; soit de commander, conseiller, louer ou approuver l’avortement ; soit de ne pas l’empêcher ou le cacher ; soit de protéger ceux qui font le mal, l’avortement, intentionnellement.  Jean-Paul II dans son encyclique Evangelium Vitae précise : « les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu » [15]. À la lumière de ce qui précède, il est clair que ni les chercheurs qui ont fabriqué les vaccins usant des cellules embryonnaires des fœtus avortés, ni ceux qui les reçoivent n’ont collaboré formellement au mal.  Ils ne sont pas responsables de tel acte prohibé puisqu’il ne s’agit pas des fœtus avortés intentionnellement aujourd’hui pour faire les vaccins. Je rappelle que les cellules embryonnaires utilisées aujourd’hui proviennent des fœtus avortés des années 1972 et 1985 ; et l’église a certainement condamné à l’époque cet acte.

      b) La coopération matérielle

Il y a la coopération matérielle qui pourrait être active ou passive. Active, quand elle concerne la pratique immédiate et directe de l’avortement. Il s’agit de s’impliquer ou de contribuer d’une manière ou d’une autre à un acte – l’avortement – qui, autrement, ne se produirait pas ; tel n’est pas le cas dans le contexte des vaccins en question. Passive, quand la participation à l’avortement est médiate et indirecte. Dans cette catégorie, il faut distinguer également la participation prochaine ou éloignée (dans l’espace et dans le temps) [16]. Il s’agit ainsi de prendre quelque chose d’un acte pervers antérieur sans y contribuer en aucune façon. Coopération matérielle passive, médiate, indirecte et éloignée, telles sont les caractéristiques d’un acte qui pourrait être moralement licite.

Les vaccins usant des cellules embryonnaires des fœtus déjà avortés depuis plusieurs décennies ou se faire vacciner en recourant à ces vaccins rentrent dans cette catégorie. Toutefois, une condition est requise pour que ces actes soient moralement licites. La Congrégation pour la doctrine de la foi reprenant la note de l’Académie pontificale pour la vie, précise que « l’obligation morale d’éviter une telle coopération matérielle passive n’est pas contraignante en cas de danger grave, tel que la propagation par ailleurs irrépressible d’un pathogène grave » [17]. Certes, nous nous trouvons dans ce contexte d’une pandémie qui menace la vie de toute personne humaine laquelle est le centre de toute préoccupation bioéthique et bio-juridique.

Pour conclure

Pour récapituler, les vaccins usant des cellules embryonnaires des fœtus avortés sont moralement licites puisqu’il n’y a pas de coopération formelle et directe au mal de l’avortement ; il s’agit d’une coopération matérielle, passive et éloignée dans un contexte où la vie est en danger. Le mal étant déjà fait, on en tire un bien.

Par ailleurs, il ne s’agit aucunement d’un prétexte pour autoriser ou inciter à pratiquer librement une interruption volontaire de grossesse, soit disant pour aider à fabriquer des vaccins. L’avortement ne pourra jamais être un moyen justifié par une bonne fin.

L’obligation morale de sauvegarder sa vie et la vie d’autrui nous incite tous à (re)penser la vaccination. Le bien commun d’une saine société, dans notre cas la vie de chacun et de tous, nous invite à agir librement mais tout en étant responsable.

Deux possibilités se présentent pour faire un choix :

1) Si on n’a pas la possibilité de choisir son vaccin et si on est obligé de se faire vacciner avec ce type usant des cellules embryonnaires des fœtus avortés alors qu’on ne le veut pas pour des réserves éthiques, la réponse est bien détaillée ci-dessus.

2) Si on ne veut pas du tout se faire vacciner, pour telle ou telle raison, on est libre. La liberté reste un droit fondamental à respecter. Cependant, « la liberté doit tout d’abord se tenir responsable de sa propre vie et de celle d’autrui » [18]. La Congrégation pour la doctrine de la foi invite ainsi à avoir des « comportements appropriés, de devenir des vecteurs de transmission de l’agent infectieux » afin d’ « éviter tout risque pour la santé de ceux qui ne peuvent être vaccinés pour des raisons cliniques ou autres et qui sont les plus vulnérables » [19].

Accepter ce type de vaccin ou ne pas l’accepter, se faire vacciner ou non, chacun est libre. Toutefois, que notre liberté soit intelligente et responsable pour bien respecter la dignité de la personne humaine !


[1] COVID-19_Vaccine_Fetal_Cell_Handout.pdf [Internet]. [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://www.health.nd.gov/sites/www/files/documents/COVID%20Vaccine%20Page/COVID-19_Vaccine_Fetal_Cell_Handout.pdf

[2] STATEMENT-The-Voice-of-Women-in-Defense-of-Unborn-Babies-and-in-Opposition-to-Abortion-tainted-Vaccines-WORD-DOC.pdf [Internet]. [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://edwardpentin.co.uk/wp-content/uploads/2021/03/STATEMENT-The-Voice-of-Women-in-Defense-of-Unborn-Babies-and-in-Opposition-to-Abortion-tainted-Vaccines-WORD-DOC.pdf

[3] ICI.Radio-Canada.ca ZS-. La position morale des évêques catholiques sur certains vaccins démentie et dénoncée | Coronavirus [Internet]. Radio-Canada.ca. Radio-Canada.ca; [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1776413/eveques-catholiques-vaccins-johnson-johnson-astrazeneca-avortement-cellules

[4] ICI.Radio-Canada.ca ZS-. Vaccination : des diocèses déplorent les propos de la Conférence des évêques | Coronavirus [Internet]. Radio-Canada.ca. Radio-Canada.ca; [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1776668/vaccination-dioceses-polemique-controverse-eveques-catholiques-canada

[5] Aristote, Métaphysique, I, 1.

[6] Jean-Paul II (Pape). Fides et ratio. Paris: Le Cerf; 1998, 143 p.

[7]  Conseil Pontifical Justice et Paix. Compendium de la doctrine sociale de l’Église. Paris: Le Cerf; 2005, 530 p., n. 139.

[8] Ibid. n. 198.

[9] D’Aquin T. Somme théologique I-II. Paris: Le Cerf; 1984, 825 p., q. 6-21.

[10] Catéchisme de l’Église Catholique. Paris: Pocket; 1999, 992 p., n. 1750-1764.

[11] Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation – Donum vitae (22 février 1987). Pierre Téqui; 2005, 40 p., n. 1.

[12] Jean-Paul II (Pape). Evangelium vitæ. Mame-Plon. Paris: Plon; 1995, 212 p., n. 61, 62.

[13] Congrégation pour la doctrine de la foi. Nota sulla moralità dell’uso di alcuni vaccini anti-Covid-19 (21 dicembre 2020) [Internet]. 2020 [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20201221_nota-vaccini-anticovid_it.html, n. 3.

[14]  Congrégation pour la doctrine de la foi, Collectif. La dignité de la personne -Instruction Dignitas personae certaines questions de bioéthique (8 septembre 2008). Paris: Salvator; 2008, n. 19, 32, 34, 35.

[15]  Jean-Paul II (Pape). Evangelium vitæ, n. 74.

[16] Congrégation pour la doctrine de la foi. Nota sulla moralità dell’uso di alcuni vaccini anti-Covid-19, n. 3; Académie Pontificale pour la Vie. Riflessioni morali circa i vaccini preparati a partire da cellule provenienti da feti umani abortiti (5 juin 2005) [Internet]. Radio Maria. 2021 [cité 13 mars 2021]. Disponible sur: https://radiomaria.it/riflessioni-morali-circa-i-vaccini-preparati-a-partire-da-cellule-provenienti-da-feti-umani-abortiti/.

[17] Ibid.

[18] Sgreccia E. Manuel de bioéthique, Volume 1 : Les fondements et l’éthique biomédicale. Paris: Mame – Edifa; 2004, 912 p., 67.

[19] Congrégation pour la doctrine de la foi. Nota sulla moralità dell’uso di alcuni vaccini anti-Covid-19, n. 5.

[i] Rappelons qu’il existe déjà trois documents à ce sujet : a) « Réflexions morales sur les vaccins préparés à partir de cellules provenant de fœtus humains avortés » (Académie pontificale pour la vie, 5 juin 2005) ; b) L’Instruction Dignitas Personae (Congrégation pour la doctrine de la foi, 8 septembre 2008) ; c) En 2017, l’Académie pontificale pour la vie est revenue sur le sujet avec une note. 

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